Critique parue sur le site Babelio:
Pour la plupart des francophones, le nom d'Eugène Lanti (1879-1947) est tout à fait inconnu. Seul son Manifeste des Anationalistes continue de hanter la toile. Dans la préface de l'édition de 1971, ses collaborateurs historiques au sein de l'Association Mondiale Anationale (SAT) mentionnaient uniquement sa date de décès et le voyage qu'il avait effectué autour du monde au cours de ses dix dernières années. L'encylopédie Wikipédia permet désormais aux internautes les plus curieux d'en savoir un peu plus, notamment sur sa parenté avec George Orwell, dont il accompagna les premiers pas d'écrivain avec sa compagne Nellie Limouzin.
L'ouvrage de Georges Montaigu permet pour la première fois à un lectorat francophone d'accéder à plusieurs des textes majeurs de Lanti, qui ont contribué à sa renommée parmi les espérantistes. le livre démarre par une traduction commentée d'un fragment autobiographique, où Lanti relate son enfance dans la campagne normande et sa perte de la foi religieuse, bientôt remplacée – selon ses propres mots - par une « croyance » en l'anarchisme. le choc de la guerre de 1914-1918 le conduit à de nouvelles désillusions, et c'est avec plus de distance qu'il se positionne vis-à-vis de la Révolution Russe. Même s'il adhère pour quelques années au Parti Commmuniste, il conserve un regard critique sur la réalité soviétique, qu'il a observée de près pendant un voyage de trois semaines en Russie, en 1922. Nourri de son expérience associative, et après une patiente accumulation de documents et de témoignages, notamment celui de son coauteur Robert Guiheneuf (Yvon), il livre une seconde analyse, encore plus sévère, sur ce qu'est devenue l'URSS en 1935.
Montaigu, lui-même moine dans l'abbaye que Lanti avait jadis envisagé d'intégrer, à Bricquebec en Cotentin, souligne à juste titre que Lanti a été jusqu'au bout préoccupé par des questions d'ordre métaphysique. Il restera un agnostique, avant tout pourfendeur du dogmatisme sous toutes ses formes, comme Voltaire, dont il traduisit trois Contes Philosophiques. Lui qui avait ressuscité son patronyme officiel, Eugène Adam, pour un entretien commandé par la revue de l'Institut Français d'Amérique Latine en 1946, aurait probablement été amusé de cette coïncidence. Et il aurait certainement apprécié le style plein d'humour de Montaigu, que les éditions Thaddée nous avaient fait découvrir avec Les Marcassins Sacrés.
Vinko Markov